Une nouvelle que j'ai écrite il y a quelques mois
A une heure du mat, dehors déjà plus beaucoup de monde
Deux heures du mat, surtout des flics qui font leurs rondes
Trois heures du mat, les zonards cherchent des vagabondes
Quatre heures du mat, eh connard j'ai pas vu ta tronche
Cinq heures du mat, paraît que tu fais le mignon à la sortie des boîtes,paraît aussi que t'as des millions
Mais à six heures du mat, j'entends venir les camions, ceux qui nettoient la rue et les travailleurs qui s'en vont
Et à sept heures du mat sur les nerfs, j'roule un joint et j'ouvre une bière
L'histoire que je vais vous raconter a eu lieu entre minuit et sept heures du matin approximativement.
Mais reprenons les évènements dans l'ordre.
En rentrant chez moi, un peu après minuit, je trouve mon appartement vide. Plus de femme. Plus de meubles. Rien. Sauf un mot,posé à même le sol de la salle à manger : " J'en ai marre d'entretenir un bon à rien. Ne me cherche pas, tu ne me trouveras pas. Ca fait un moment que j'ai tout préparé. Adieu".
Méritais je un tel sort? Soyons honnête, je suis une crapule de la pire espèce. Pour moi, tromper ma femme est une banalité, un acte ordinaire. Au travail, je ne fais rien mais mon patron me félicite souvent; il faut dire que je n'ai pas mon pareil pour m'approprier le travail des autres. Dans les transports en commun, je suis l'homme le plus heureux au Monde. J'adore frôler le corps des femmes, toucher leurs formes. Et voir leurs yeux remplis de honte, sentir le malaise monter en elles lorsqu'elles sentent ma main toucher leurs corps. Eh oui, je me considère moi-même comme un salaud. Mais ce n'est pas de ma faute. C'est notre Monde qui veut ça. Ma devise "croquer ou se faire croquer"n'est qu'un reflet du Monde et je préfère croquer.
En rentrant chez moi, ce soir là, je me demande ce que ma femme a préparé. Ca fait cinq ans qu'on est mariés. Il faudrait peut-être que je lui offre un cadeau. Tiens, le concierge a planté des fleurs. J'en arrache cinq, je coupe les tiges et les met dans un journal que je viens de ramasser. Ca fera un beau bouquet et si elle nest pas contente, tant pis.
En prenant l'escalier; je croise une voisine,une vieille femme à qui il ne reste plus beaucoup de temps à vivre. Elle me regarde et me dit que c'est la fin. Je lui demande si elle a un cancer ou une quelconque autre maladie. Et cette saleté de vieille femme me crache au pied.
J'ouvre la porte de mon appartement. Je reste hébété, perdu, planté au milieu de l'appartement. Vide.
Au bout d'un moment, la sonnerie retentit. Je vais ouvrir la porte. C'est la police.
_ "Monsieur,le propriétaire vient de nous signaler que vous occupiez l'appartement illégalement. Veuillez sortir s'il vous plait" me dit un policier avec une moustache à la Hercule Poirot.
_"Mais c'est chez moi. J'habite ici."
Le policier regarde son collègue et regarde par dessus mon épaule.
_"Mais bien sûr. Vous aimez le vide, on dirait. Sortez"
Pendant une seconde, je sens mes muscles se contracter. Je vais sauter sur les policers mais je les vois mettre leurs mains sur leurs matraques. Je me ravise et je sors.
La Lune était pleine.
J'erre à travers la ville. Je croise des clochards. Je les ai toujours considérés comme des moins- que-rien, des fainéants. Et qu'ils puent dans leurs guenilles. Et aucune fierté, toujours à mendier, à réclamer un sou. Comme si travailler était dur. Et si un boulot ne leur procure pas assez, ils n'ont qu'à travailler plus pour gagner plus. J'ai faim. Je fouille dans mes poches. Pas un cent. L'angoisse monte en moi. Vais je devoir mendier comme ces chiens? Au loin, une cloche sonna. Je regarde devant, derrière, à gauche, à droite. A une heure du mat, dehors déjà plus beaucoup de monde.
Je décide de me diriger vers le quartier des restaurants de la ville. Je vais fouiller les poubelles. Peut etre que je vais trouver un reste de pizza, un reste de repas. Qui sait? Eh oui, c'est ça le luxe. J'ai toujours considéré le luxe comme le fait de pouvoir dire stop alors qu'on peut encore, si on le souhaite, disposer du truc. Je repense à mon dernier repas. Une belle entrecôte de six cent trente grammes. Qu'elle était bonne, je bave rien qu'en y pensant. Et surtout que c'était bon de la manger alors qu' à la télévison, on montrait des enfants qui crevaient de faim, des mères squelettiques qui ne pouvaient pas allaiter leurs bébés. Et même, un village où les habitants mangeaient les plus malades et les cadavres, faute de mieux. Au moment où j'ouvre la poubelle, je vois une voiture de police arriver. Ma montre sonne. Deux heures du mat, surtout des flics qui font leurs rondes.
Ahlala, après avoir mangé, j'ai l'habitude d'aller voir ma femme. Que c'est bon de faire l'amour le ventre plein. J'adore le sexe. J'ai toujours envie. Je l'ai d'ailleurs dit à ma femme. C'est pour ça que je la trompe. J'ai des besoins énormes, et à elle seule, elle ne peut pas me contenter. Alors j'ai pris des amantes: la boulangère, ma secrétaire,... la liste est longue. Tiens, je viens d'arriver dans le coin des prostitiué(e)s. Oh ce soir, il y a beaucoup d'hommes et de femmes en manque de sexe. Mais la vérité est ailleurs. Ce sont des personnes, qui pour la plupart ont très peu de contact avec les représentants de l'autre sexe, des complexés sexuels, des puceaux en quête de première aventure. En voyant une femme superbe me faire un clin d'oeil, je sens le désir monter en moi. Mais je n' ai pas un sou. Une voiture passe à côté de moi. La musique est forte "...Trois heures du mat, les zonards cherchent des vagabondes..."
Mes pas m'ont mené vers l'hôpital. Je compte me réfugier à l'intérieur pour dormir. J'entre et me met dans un coin où on ne peut voir ma tête. Je dors un bon moment quand soudain j'entends des pas venir vers moi et un médecin me dire:
"Vous devez être vraiment désespérés pour dormir ici. Non ne dites rien. J'ai une offre à vous faire. Je suis un chirurgien esthétique et j'ai besoin de votre peau, si possible la peau de vos fesses ou un bout de votre front. Voyez, demain j'ai une opération et il m'en manque. C'est une femme d'une laideur repoussante. Avant elle était allongeable si vous voyez ce que je veux dire, mais à force de se faire refaire le nez, la bouche, les seins, les fesses, les bras, l'intérieur des cuisses... on dirait une poupée qui a fondu. Elle ferait fuir un aveugle. Tenez je vous donne dix euros. Allez manger un truc."
Une voix féminine résonne dans le hall " Il est quatre heures". Je prends le billet, pousse l'homme t m'enfuis. Derrière moi, une voix crie :"Eh connard,j'ai pas vu ta tronche."
Je cours comme un dératé. Je pense que si je cours assez vite, je peux transformer le temps, revenir en arrière. Ne dit on pas que le temps est une courbe? un cercle? Je m'adosse à un arbre pour reprendre mon souffle et surprends une conversation.
"_Laisse moi, t'es une belle enflure. J veux plus jamais te voir.
_Mais Bibiche écoute moi. Ta copine ment. C'est une vraie mégère. Elle m'aime pas, elle est jalouse de nous.
_Ah oui et pourquoi donc? Hein pourquoi?
_Elle est jalouse de notre bonheur. Ca se voit c'est une coincée du cul. Toujours là à se pavaner et à faire la belle. Mais elle fait jamais rien. J suis avec elle en cours. Miss Parfaite. Miss 20sur 20. Toujours devant. Elle doit avoir la langue marron à force. Et puis tu sais que je t' aime, j fais jamais rien sans toi.
_Ah oui? Paraît que tu fais le mignon à la sortie des boîtes paraît aussi que t'as des millions.
_Euh...."
Un chien aboya cinq fois.
Fatigué, je vais m'asseoir sur un banc. Je ferme les yeux. Je ne sais pas pourquoi mais mon dernier procès me revient à l'esprit. J'avais porté plainte contre la soeur de ma femme car elle pollue l'air avec sa mauvais haleine. Et cela nuisait à ma satisfaction personnelle, à mon bien-être. Bon j'avais perdu. La juge m'avait débouté et m'avait lancé un regard comme si j'étais quelqu'un de particulièrement repoussant. Je rouvre les yeux. Je sens une sensation de chaleur envahir ma jambe. Sans doute le soleil qui se met à la chauffer. Mais une odeur me vient. Une odeur d'urine. Un chien m' a pissé dessus. Un costume à 1300 euros. Bordel de merde. Le bus arrive. Bien entendu, je monte dedans sans payer. Le chauffeur met la radio. " France Culture, il est six heures". Radio de merde. Et comble de malheur, un jeune en survêtements et avec une casquette s'assied à côté de moi et se met à chanter si on peut appeler ça chanter "...J'entends venir les camions, ceux qui nettoient la rue et les travailleurs qui s'en vont..."
Ah je me sens beaucoup mieux. Finalement ce jeune homme est très sympathique. J'ai réussi à lui échanger mes dix euros contre un joint et deux bières. Le sexe est un de mes plaisirs. L'alcool et la drogue sont ma vie. Je ne suis bien que sous leurs emprises. Un souvenir d'adolescence remonte en moi. Eh oui, j ai vendu du "shit". Je le coupais avec des crottes de chien, des pneus. Et vous savez quoi? Des idiots l'achetaient et ils m'avaient même décerné le prix de meilleur revendeur de ma ville. A croire que ça abime le cerveau ce machin-là.
J'arrive près de mon lieu de travail. Un collègue me tape sur l'épaule et me dit en me dépassant:
"Eh ben pour une fois t'es à l'heure! Qu'est ce qui se passe? Ta femme a ses règles?" Et il rit content de sa blague. Je regarde l'horloge au dessus du bureau du gardien. Il est sept heures. Sur les nerfs j'roule un joint et j'ouvre une bière.
Cinq minutes plus tard, dans les toilettes, je me lave, me peigne, retapisse les WC. Ouf j' ai repris un aspect normal. Les autres ne vont se douter de rien.
Après tout je vis dans une société où l'apparence et le plaisir règnent